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Les tribulations d'une moufette...
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1 juin 2008

"Rencontre au bord du fleuve", Christopher Isherwood : le regard du frère.

Isherwood_Rencontre_au_bord_du_fleuve            Premier pas dans l'oeuvre de Christopher Isherwood, auteur difficile à saisir : Britannique naturalisé Américain, homosexuel exilé à Berlin dans l'entre-deux guerres (expérience dont est tirée la comédie musicale Cabaret), converti avant guerre à l'hindousime, ami de W. H. Auden et "disciple" d'Edward M. Forster (dont je vous ai déjà parlé longuement). Mais avant même d'avoir wikipédisé, lire Rencontre au bord du fleuve met sur cette piste : Isherwood est un auteur complexe, blessé aussi, qui scrute l'intime des convictions, des choix et des relations aux autres.

            Ce roman est leste, le sujet rapidement quoique brillamment traité. Il met aux prises uniquement deux personnages que le lecteur ne rencontre que par l'intermédiaire de leur relation épistolaire : deux frères, qui se sont perdus de vue car tout les sépare. Leur mode de vie, leur mode d'être, leur activité professionnelle, leurs croyances. C'est pour demander à son frère aîné de prévenir leur mère de son entrée dans le monachisme hindou qu'Oliver renoue avec Patrick ; lettre polie, amicale, un peu distante toutefois, on soupçonne déjà la méfiance et la cassure entre les deux frères. Patrick répond avec enthousiasme, le ton enjoué devenant trop jovial pour combler le silence et masquer la blessure.

           Le roman n'est que cette recherche de l'autre, du frère, du double qui n'en est pas un, au fil du journal intime qu'Oliver tient pour apaiser les craintes que ravivent Patrick et des lettres de ce dernier à sa mère, à sa femme et à son amant. Si ce sont bien évidemment deux univers qui se confrontent, Isherwood ne tombe pas dans la facilité du binôme antithétique : ce qui l'intéresse, c'est plutôt la manipulation des autres et de soi-même, la manière dont on se crée un masque, dont on le porte et la fierté avec laquelle on va jusqu'à l'arborer parfois dans nos relations intimes.
            Olivier, si doux aux yeux de tous, est aux yeux de son frère aîné un homme doué, volontaire, ambitieux. Il l'a finalement très bien cerné, puisque les sentiments que couche Oliver sur son journal révèlent une attitude bien plus conquérante, résolue, si peu digne d'un swami hindou se morigène-t-il, face aux autres et aux évènements. Il veut convaincre son frère de sa bonne foi et du bien-fondé de son choix, mais ne veut pas non plus avoir à se justifier face à celui-ci. Mais c'est Patrick, qui clame à tout vent son extrême tolérance, qui se révèle sans aucun doute le plus duplice : critiquant les choix d'Oliver d'une plume ironique voire sarcastique, le grand frère pense avoir tout compris de son cadet et s'apitoie même sur lui.
            Tandis qu'Oliver se débat pour se positionner face à son grand frère, Patrick est confronté au dilemme du choix de vie : il manipule sa femme comme il manipule son amant, ne parvenant à faire aucun choix ou, plutôt, faisant le choix de tout avoir. Il embobine son entourage, tranchant au bon moment, adouci et suppliant à d'autres, et obtient confort du foyer, bonheur d'une progéniture et excitation d'une relation adultère et homosexuelle, tout en culpabilisant tous ceux qui participent de près ou de loin à cette relation.

            Isherwood nous emmène donc au bord du Gange, aperçu seulement de loin en loin, pour réfléchir avec lucidité à notre manière de s'engager dans la vie et envers les autres, manipulation quasi maladive chez Patrick, plus ordinaire chez Oliver. Rapidement, le lecteur est renvoyé à ses propres attentes, à ses propres manipulations, aux jeux et aux masques de son univers intime. Parviendrons-nous à choisir de manière définitive un chemin de vie, ou essaierons-nous toujours d'avoir le beurre et l'argent du beurre ?

            Dans cet article, j'utilise pour la première fois de ma longue carrière de moufette le terme "morigéner". Je suis super fière.

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Commentaires
M
Je le note!
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