Où je visite le Vexin français...
Sitôt de retour, sitôt repartie. Parce qu'il faut dire que l'Education nationale est faite de telle manière que quand tu demandes un truc, tu ne l'as pas. Et qu'on n'a pas peur des kilomètres, dans l'Education nationale. Non plus que d'être sous-payés parce que l'on t'attribue une tâche que tu voudrais faire mais que tu ne peux pas assumer d'un point de vue pratique.
Me voilà donc, encore toute pantelante du décalage horaire, de la joie de retrouver Tac, un peu à l'ouest donc et mon sac pas encore défait au beau milieu du salon, me voilà disais-je dans le métro (une demi-heure), puis le RER (une heure) et arrivée à Cergy-le-Haut voilà qu'un des deux bus (une heure) à prendre pour le village du Vexin français qui abrite mon cher nouveau collège vient de partir. A deux minutes près... Heureusement, c'est le seul moment de la journée où il y en a un deuxième (dans une heure) !!! J'ai donc le temps de grogner, manger un macaron, re-grogner. Précaution : ce moment où il y a un deuxième bus ne correspond pas du tout, évidemment, à mes futurs horaires de cours ; là, il n'y aura qu'un bus. Si tu le manques, tu es fichu : il n'y aucun, je dis bien aucun, autre moyen de transport. Le taxi sinon...
Dans le bus vexinois, c'est l'éclate : déjà l'accent des usagers est super fou, on est déjà loin, très loin de Paris ; il fait très froid, car la climatisation est à fond (il en résulte une angine les six jours suivants, magnifique...). Le paysage est absolument sublime : des champs et des forêts, des vallons et des hôtels de charme dont les contours se détachent au fond de parcs arborés. Les villages et hameaux traversés sont tout de petites fermes pimpantes en pierres et allées de marronniers. Un environnement splendide, loin des voies de RER et des chemins de fer, des tours de cités et de la grisaille des banlieues au nord de Paris. J'apprends d'ailleurs par le très cordial chauffeur de bus que nombre de pontes et de hauts fonctionnaires de l'administration départementale et régionale (Val d'Oise et Ile-de-France) habitent dans le coin : ben tu m'étonnes !!! Entre habiter à Villiers-le-Bel et ici, je veux bien comprendre leur choix...
Arrivée dans le nouvel établissement. Et là, je ne peux pas faire ma difficile : oublions un instant le transport, la distance et le temps (oui, oublions...). Ce collège est une chance exceptionnelle pour moi de connaître un peu ce qu'est d'être un prof chanceux. Enfin. C'est un poste fixe tout d'abord (non, je n'ai pas couché pour l'avoir : j'ai demandé à avoir un poste pourri et on ne me l'a pas donné...), donc je peux m'y installer tranquillement pour les quarante prochaines années, mettre des photos idiotes dans mon casier, avoir mon casier définitif d'ailleurs, laisser mon mug à café dans un coin et faire ami-amie avec mes collègues. C'est fou, non ? De plus, c'est un tout petit collège : moins de 400 élèves, ce qui signifie pas de double hiérarchie (principal et principal-adjoint) mais un seul interlocuteur, une toute petite équipe pédagogique (vingt-cinq profs, qui connaissent déjà mon prénom) avec une moyenne d'âge de 35 ans, habitant tous dans le coin et tous très heureux d'être là. Cela change beaucoup, très beaucoup tout plein de sa life ! Quant au bâtiment, il est sublime : construit il y a trois ans, il a une façade entière en verre tournée vers les champs et la forêt, côté Normandie (qui est à 11 km). Les profs d'histoire-géo ont de plus décidé d'investir dans l'informatique, je vais donc pouvoir travailler avec un vidéo-projecteur. Je n'en reviens toujours pas : des conditions de travail exceptionnelles.
Quant aux élèves, parlons-en deux minutes : mignons, gentils, pas de violence ou de problèmes de discipline, paraît-il. Le pied !!! Le seul écueil que soulignent les professeurs, c'est leur inappétence très forte au travail ; c'est usant, il faut les tirer en permanence, et un des suivis mis en place par l'établissement est une fiche où cocher à chaque cours si chaque élève a ses affaires, fait ses devoirs, apporté ceci ou fait cela... Ce qui prend au bas mot un quart d'heure à chaque fois sur 50 minutes de cours, je vais donc aménager mon temps d'enseignement en fonction de cette tâche administrative. Conclusion : du côté des élèves, moins d'inquiétudes. Je n'irai donc pas donner mes cours la rage au coeur et l'angoisse au ventre, dans un cadre désagréable et avec des élèves instables voire inquiétants (assez souvent, malheureusement). Enfin, la rage au coeur, peut-être...
Car dans ce cadre idyllique et inespéré, le seul défaut de taille est tout de même qu'en courant comment une dératée, je me lèverai à 4h45 le matin pour rentrer à 16h et donner... 4 heures de cours seulement chaque jour . Sur trois jours, normalement... Transport en multimodal en plus, sachant que les horaires sont pile-poil, genre le RER arrive deux minute avant le départ du premier bus qui arrive deux minutes avant le départ du second bus qui arrive dix minutes avant le début du cours. J'ai intérêt à ne pas me louper et qu'il n'y ait aucun souci sur chacune des lignes. Autant rêver, quoi... Autre souci, dans son odieuse bonté, l'Education nationale m'affecte dans ce petit village pendant 12h seulement (équivalant transports : 15h). Et les 6 heures restantes ? Aucune idée. Et comment vais-je aller dans un second étébalissement (il n'y en a pas à moins de 40 km) puisqu'il n'y a que deux bus par jour non directs ? Aucune idée. Est-ce qu'ils ne me forceraient pas un peu la main pour prendre un temps partiel (donc me payer des clopinettes) qui leur coûtera moins cher dans une logique de réduction des coûts de la fonction publique ??? J'ai une idée, là...
La joyeuse escapade m'a déjà coûté 15€ : espérons que sur les 200€ de transports mensuels à partir de septembre, une moitié me soit bien remboursée. Pas sûr car la règle est toujours "vous devez habiter sur votre résidence administrative"... Ben oui, c'est ça : t'as qu'à déménager tous les ans. A ce rythme-là, le système m'impose de ne donner que 12h de cours par semaine, de faire 15h de transports par semaine et de gagner 850€ par mois : avec moi, l'Education nationale est dans la logique du "travailler moins pour gagner encore moins".
Combien je gagnais déjà avec mes cours particuliers ???