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Les tribulations d'une moufette...
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25 octobre 2008

Salman Rushdie est AUSSI un grand écrivain : retour sur les "Versets sataniques".

                Cela sonne comme une évidence. Mais ce n'en est pas une, surtout pour les lecteurs francophones.  Attention, paradoxe : Salman Rushdie est célèbre et méconnu à la fois.

                  Actuellement visible sur tous les plateaux français, cet auteur britannique d'origine indienne fait la promotion de son dernier roman, L'Enchanteresse de Florence (une rencontre Orient-Occident au temps du Grand Moghol). Et ce que lui resservent TOUS les animateurs et les chroniqueurs sans exception, dans leur présentation ou leurs questions directes à l'auteur, c'est la fatwah iranienne dont il est victime. Rushdie se charge à chaque occurence de les faire évoluer un peu, en expliquant qu'il n'est pas QUE l'auteur des Versets sataniques, qu'il a écrit bien d'autres textes et que cet événement n'est pas le fondement de sa vie d'auteur. Car Salman Rushdie est alors invité en tant qu'auteur. Pis : je prends les paris, combien ont réellement lu les Versets ? Aucun à mon avis, vues toutes les âneries et approximations qu'ils sortent quant au contenu de ce roman...

Les_versets_sataniques               Remettons les pendules à l'heure (prépares-toi moralement : c'est là où je fais ma star car moi, j'ai lu les Versets sataniques...) : à moins d'avoir été enfermé en HP pendant vingt ans pour surconsommation de vernis à ongles, tu as du entendre  parler de Salman Rushdie. Ce Bombaïkar, britannique désormais, est connu dans l'Hexagone essentiellement pour avoir été victime d'une impitoyable fatwah lancée par l'ayatollah Khomeini, plusieurs fois réitérée ; en parallèle, certains de ses éditeurs ont été agressé ou assassinés pour avoir publié les Versets, qui ont aussi servi de combustible lors d'un autodafé en Grande-Bretagne (si tu veux en savoir plus, viens lire ceci). Le débat concerne bien sûr la liberté d'expression, quant à l'Islam plus précisément, mais malheureusement c'est cette question qui a totalement accaparé l'esprit du public et des médias, à savoir un élément extérieur à l'oeuvre. On ne parle finalement plus que de la réaction d'une certaine portion du lectorat et de ses conséquences concrètes. C'est malheureux car, je le redis, Salman Rushdie est un grand écrivain et son oeuvre ne doit pas être dominée par cette seule étiquette : la fatwah.

                 De ce fait, et c'est encore plus dommageable, beaucoup ont un préjugé à l'égard des Versets : "cela doit bien parler d'Islam quelque part, et la religion c'est ennuyeux, et comme cela a déclenché une fatwah, cela doit prendre la forme d'une démonstration théologico-théorique... Comme cela doit être ennuyeux !"

                Que nenni, lecteur ébahi : les Versets sataniques sont tout ce qu'il y a de plus romanesque et fictionnel. Et l'on se régale du début à la fin sans qu'il y ait une quelconque glose théologique, de lourdeur théorique ou de blabla argumentatif. La découverte étonnante du fameux "réalisme magique" plutôt : conduit par un style tourbillonnant et baroque parfois, sombre et drôlatique en même temps, le lecteur suit les pérégrinations comico-tragiques de deux acteurs, incarnant chacun une facette de Bollywood, Gibreel Farishta la belle gueule et Saladin Chamcha la voix. Après l'attentat terroriste contre l'avion qui les emmène à Londres, ils renaissent sous les traits de l'ange Gabriel et de Satan, dans un monde réel devenu perméable et indifférent au surnaturel : et l'on assiste alors à cette scène absolument étonnante où des bobbies emmènent manu militari Saladin, devenu bouc puant avec queue et cornes diaboliques. Comme si de rien n'était.

                Les deux personnages évoluent dans Londres, avec leur entourage qui subit leur influence angélique ou satanique, sans que rien ne soit pour autant manichéen : tout est trouble, l'ange Gibreel incarne le Bien dans toute l'horreur de sa certitude monolithique, qui ne se pose pas de question ; tandis que Saladin doute, s'interroge, et plus ses yeux se décillent sur la réalité, plus il pue (n'ayons pas peur des mots...). Subrepticement sont passé au crible des thèmes chers à l'auteur, l'immigration en Grande-Bretagne et l'intégration difficile, la place et la réalité de la lutte entre le Bien et le Mal et, enfin, un thème développé dans tous ces romans, la rencontre entre l'Orient et l'Occident. Les deux personnages en donnent leur version, lumineuse ou sombre, et brouillent toutes les pistes...

               Par quoi les chantres de l'Islam fondamental ont-ils bien pu être choqués dans ce roman ? Et bien par la partie parallèle à cette intrigue. S'insère en effet en doublon de cette histoire un autre monde, celui du rêve de Saladin où Mahound, un illuminé politico-religieux, reçoit dans le désert la Révélation, d'une transcendance dont on ne sait si elle est bonne ou mauvaise, que l'on sait duplice avant tout. Un monde onirique, avec du sang, des luttes de pouvoir, des femmes toutes-puissantes, de la fureur et de la sensualité... Sous la forme de Dieu ou de Shaytan (Satan), la figure tutélaire de cette partie du roman ressemble étrangement à celle de Saladin, ou plutôt de Salman : car l'auteur égrenne au fil de ses oeuvres une réflexion sur l'écriture, la création littéraire et apparaît alors souvent ce visage rond, myope et barbu, la figure de l'auteur tout-puissant qui manie et manipule ses personnages, l'intrigue et le monde...

                   Une réflexion sur la religion, ses origines et son impact sur l'homme certes, une relecture de l'histoire sainte, de la Révélation des versets du Coran à Mahomet bien sûr, mais bien plus. Bien plus que cette lecture au ras de pâquerettes (qu'il s'agisse de celle des musulmans fondamentalistes ou de celle, tout aussi simpliste, des chroniqueurs actuels). C'est évidemment cette partie de l'histoire qui a choqué, et c'est cette partie qui a été retenue.

                  Je vous parlerai un de ces jours des autres romans de Salman Rushdie, tout aussi excellents voire encore meilleurs, que sont Shalimar le Clown (entre Cachemire et Etats-Unis) et les Enfants de Minuit (chronique réalistico-magique de Bombay et de l'Inde). Entre autres.

Nota : "il y a un droit au blasphème" (Monseigneur Gaillot). Je dirais même plus : il y a devoir de blasphème...

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Commentaires
C
@ Jelaipa : je savais que la liberté d'expression pouvait compter sur toi ! Et effectivement, on aime ou on n'aime pas, mais c'est avant tout un roman, pas un pamphlet anti-Islam.
J
Tout à fait d'accord avec toi!j'ai aussi lu "les versets..." en son temps.Je l'avais acheté comme soutien à la liberté d'expression et ai presque été déçue, car je m'attendais à quelque chose de plus subversif, et n'ai découvert "qu'un" auteur ayant écrit une histoire qui fait réfléchir mais néanmoins amusante....
Les tribulations d'une moufette...
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