Attentat et prise d'otages à Bombay : l'autre visage de l'Inde.
Vous avez entendu la nouvelle parfois même avant nous, décalage horaire oblige et nous étions chez nous sans avoir d'informations, lors des attentats survenus cette nuit. En douze lieux différents, la ville a été touchée, essentiellement dans les quartiers et les endroits fréquentés par les touristes et les Occidentaux au Sud. Il y aurait une centaine de morts, des centaines de blessés et une ville qui se réveille groggy. Ecoles et université de l'Etat du Maharashtra sont fermées. Les étrangers sont priés de rester chez eux. D'autant que deux groupes de terroristes auraient pris la fuite dans des voiture de police...
Après le choc et l'émotion, une pensée vient immédiatement : l'impréparation.
Déjà lors de notre séjour cet été, il y avait eu des attentats (à Bangalore notamment,
le lendemain de notre départ) et nous avions pu voir comment se déroulaient les
contrôles dans les gares et aux carrefours des villes du Kerala à la suite :
pas grand-chose, pas très efficace et peu coordonnés. Des mesurettes pour un
pays aussi grand, aussi peuplé, aussi mouvant. Et à Bombay, la capitale
économique du pays et sa meilleure vitrine, après une vague de terreur dans les
années 1990, après les émeutes hindo-musulmanes récurrentes, alors que des
attentats ensanglantent de nouveau le pays depuis deux ans, il est fou de ne
voir que très peu de policiers dans les rues ; ils font la circulation ou
l'observent, depuis leur guérite. A proximité des lieux touristiques ou des
lieux sensibles, personne. Ce qui ne rassure pas non plus ? Le fait que le chef
de la section antiterroriste ait également été tué hier soir. Que la brigade
d'infanterie dépêchée sur place paraisse bien loin de pouvoir répondre aux
exigences d'une telle situation.
Nous étions il y a quatre
soirs à l'Oberoi, où actuellement encore une trentaine de personnes sont
retenues en otage. Serait-il possible qu'avec ces nouveaux attentats, dans ces
hôtels de luxe que sont le Taj et l'Oberoï, que les choses changent ? Parce que
désormais, et pour la première fois en Inde, ce sont les Occidentaux qui sont
visés. Les preneurs d'otages auraient en effet "sélectionné" les
ressortissants américains et britanniques ; et dans un troisième lieu, ce sont
des Israéliens qui seraient retenus. Enfin, l'information n'était pas confirmée
selon laquelle des députés européens pour le sommet Europe-Inde étaient au Taj
Mahal Hotel. Sous les images diffusées par les médias défilent des messages sms
destinés aux clients piégés dans les étages supérieurs de l'Oberoï "X
pour Y : j'attends ton appel", "W pour Z : je pars de Calcutta
pour Bombay, ton numéro est injoignable".
Alors peut-être enfin, parce que ce ne sont plus QUE des Indiens qui meurent
(même si ce sont eux qui ont encore payé le plus lourd tribut aujourd'hui),
peut-être les services secrets indiens vont enfin prendre une part plus active
et plus efficace dans la lutte contre le terrorisme, pressés de coopérer par
les Américains, les Britanniques et les Européens. C'est ce qu'à noté Sonia
Gandhi dans une déclaration qui se voulait fort lyrique sans doute, mais que je
trouve très cynique en réalité : "il en va non plus de la sécurité de
l'Inde, mais de son prestige"...
Pour notre part, nous restons chez nous, écoutant les nouvelles, tentant de
comprendre réellement où en sont les forces de police. On appelle les collègues
de Tac dont les bureaux sont dans le quartier (certains étaient à l'Oberoï hier
soir). Mais l'inquiétude concerne surtout la manière dont le gouvernement va
gérer les rumeurs : pour l'instant, ce sont des ennemis de l'extérieur qui sont
accusés. Les attentats auraient en effet été revendiqués par les
"Moujahidins du Deccan" dans un mail envoyé depuis la Russie et qui
seraient arrivés à Bombay par bateau depuis le Pakistan... Le problème est souvent
que l'amalgue est rapide, entre l'ennemi de l'extérieur et celui de
l'intérieur.
Connaissant le passif tumultueux et sanglants entre hindous et musulmans,
sachant que des élections ont lieu dans les prochains mois où l'actuel gouvernement
ultra-nationaliste hindou de l'Etat est aux prises avec une de ses factions
extrêmement violentes, que va-t-il advenir de la relative stabilité établie
entre les communautés de Bombay ? On espère que les autorités sauront tuer dans
l'oeuf toute velléité de vengeance...