De l'utilité des cours particuliers : le "fast knowledge".
Heureusement... l'école à domicile a de beaux jours devant elle... malheureusement.
Heureusement, parce que j'y trouve mon
compte en tant que professeur en disponibilité (donc sans salaire). Compte financier, car demandant un tarif très bas pour le
marché, les parents n'hésitent pas à me solliciter souvent et
longtemps, créant ainsi un climat de confiance mutuelle. Mais j'ai en plus derrière moi une entreprise intermédiaire qui recrute des
élèves pour moi (et s'en met plein les poches au passage). Et elle en
recrute encore plus quand le conseiller apprécie le professeur et lui fait
confiance ; ce qui est le cas...
Intellectuellement, j'y trouve un souffle certain que ne m'offre pas l'Education nationale : un seul élève,
extrêmement attentif, une implication réelle des parents (trop
concernés souvent) et la possibilité de mettre en oeuvre une
pédagogie, une progression et des apprentissages totalement
personnalisés. Enfin, héhéhéhé ! pas de monceaux de copies à corriger,
pas d'administration idiote, pas de classes surchargées ingérables, pas
de trajets démesurés, pas de mesures vexatoires (aujourd'hui ? Au choix : pas de salle, pas de photocopies, pas d'élèves, pas d'emploi du temps...) et pas de collègues harassés harassants...
Conclusion : quand on est étudiant, c'est souvent la paye qui intéresse (et c'est normal) ; pour moi, c'est un souffle de liberté par rapport à l'EN : en donnant le même nombre d'heures de cours par semaine, je gagne autant sans en avoir les contraintes. J'expérimente nombre de méthodes différentes, je me divertis, j'ai des niveaux différents (du collège à l'université), je crée une véritable relation enseignant-apprenant, et j'ai un dialogue réel avec
des non-enseignants... Pour qui aime enseigner, les cours particuliers c'est le pied et la planque à la fois ! Je dis ça et je pense à ma lettre de démission...
Mais... (car il y a un mais)
Malheureusement, les cours particuliers reposent sur des ressorts malsains (en tout cas tels qu'ils s'expriment actuellement), qui ne vont pas disparaître dans les prochaines années. C'est tout d'abord un constat d'échec, en tout cas de l'école privée : pourquoi seulement du privé ? Parce que tous les élèves (sans exception, même un de mes étudiants !) avec lesquels je travaille sont issus du privé... Bien sûr, l'explication est simple : il faut avoir les moyens pour payer des cours particuliers ! De plus, les parents qui mettent leurs enfants dans ce type d'établissements scolaires sont souvent très très très attentifs aux résultats de leur progéniture... L'échec du public est patent dans certains endroits, mais il est intéressant de voir que mettre ses enfants dans le privé revient à s'angoisser encore plus qu'avant pour leur réussite (raison avancée : "on sait ce qui les attend plus tard", "tout se joue maintenant", "on ne leur fera aucun cadeau plus tard si leur dossier n'est pas excellent (depuis le CM2, ai-je envie de rajouter...)").
Alors, qu'est-ce qui est en jeu ici ? Une incapacité à déceler et régler les problèmes que rencontrent les élèves ? Non, pas vraiment. Ce sont plutôt les expulsions en fin d'année des établissements qui sont au centre des préoccupations : du fait des sacro-saints classements des "meilleurs lycées" que se procurent les parents anxieux (et que publient des revues bien intentionnées : cela n'a rien à voir avec les ventes, un peu comme les dossiers sur l'immobilier), ces établissements n'hésitent pas à écrémer leurs effectifs en seconde puis en première, histoire de garder les meilleurs élèves et d'en recruter d'aussi solides. Le but ? Avoir 100% de réussite au bac. Ce qui n'est pas si compliqué quand on a sélectionné les poulains, en faisant fi de tout aspect humain.
Je vous raconte une histoire ? Allez... J'ai une élève, adorable, scolaire en 3ème, qui a eu du mal à gérer le tournant de la seconde. Manque de maturité face au travail. Acceptée dans un grand lycée privé du 92, elle traîne une moyenne insatisfaisante jusque mars et tout à coup, comprend la manière de travailler et de réfléchir exigée en seconde, et se hisse à la hauteur des notes exigées par l'établissement. Résultat ? Ses efforts payent, sa moyenne grimpe en flèche... et au troisième semestre, on la juge malgré ses très grands progrès d'un niveau insuffisant. On la condamne donc (parce que c'est bien de ça qu'il s'agit) tout d'abord à redoubler, puis à chercher un autre lycée pour l'année suivante. Excellent, n'est-ce pas ? La gamine n'a tellement pas digéré cette non-reconnaissance de ses efforts qu'elle a tout abandonné cette année.
Le second ressort de ce système est dans l'esprit des parents : une course effrénée et effrayante au résultat et au prestige pourrit littéralement la relation des élèves au travail. Non, les progrès ne se trouvent pas dans le nombre d'heures passée à bûcher sur des exercices ; pourtant, les cours particuliers rassurent les parents, qui décomptent les heures de travail de leur enfant tout en accroissant le bachotage. En tant que prof, c'est à pleurer... D'autant que nos élèves ont des journées déjà longues, très longues.
Il n'est pas rare que les parents se fichent de savoir si leur enfant s'épanouit dans l'apprentissage, la première question posée concernant le plus souvent les notes obtenues (question extrêmement nocive à la fin d'une journée : quand on rentre de l'école, il vaut mieux sortir du "drame des notes" et s'entendre demander si la journée s'est bien passée, point final) et la seconde, après le cours à domicile, si l'élève réussira son contrôle. Que l'élève ait été dynamique, intéressé, intéressant, motivé, volontaire ou pugnace indiffère ces parents. Finalement, je suis désolée de le dire de manière aussi abrupte, mais le recours systématique au cours particuliers n'incite absolument pas les élèves à faire confiance à leurs professeurs en cours, à leurs camarades pour l'entraide, à leurs livres, aux ressources des bibliothèques et d'Internet et à eux-mêmes. C'est un apprentissage du fast knowledge, du zapping du savoir (les profs recrutés par le biais d'une agence sont d'ailleurs interchangeables...), de la passivité dans l'apprentissage, et de la récitation permettant uniquement d'entrer dans la course à la note. Et c'est bien malheureux...
Ainsi, après quelques années d'expérience, il me semble que le recours aux cours particuliers de manière systématique et prolongée, dès qu'une baisse est constatée dans une matière, implique plusieurs conséquences : l'enfant n'acquerra que difficilement une autonomie dans son travail personnel et par rapport à ses propres méthodes d'apprentissage ; les parents perdront de l'argent, car sans se poser les bonnes questions et envisager la scolarité de manière concernée mais sereine, les cours se poursuivront à l'infini ; les enfants assimilent l'angoisse terrible de leurs parents, liée aux notes et à l'inscription dans tel lycée, et non à leur épanouissement personnel, leur enrichissement quotidien. Enfin, évidemment, ce système consacre de manière globale la scolarité à deux vitesses, fondée sur les inégalités de richesse. Finalement, les cours particuliers permettent aux parents de gérer leur angoisse scolaire, tout en en transférant la résolution vers une autre personne. Et la culture du résultat prend une ampleur étonnante. Et je vous avoue, dans ce système-là, être d'autant plus admirative des élèves issus de milieux défavorisés ou non qui réussissent par leurs propres moyens, gérant l'angoisse de leurs parents parfois, mais en ayant appris à affronter les choses eux-mêmes et à trouver les solutions seuls.
Au bout du compte, aujourd'hui, une de mes élèves très aisée et disposant d'autant de professeurs à domicile qu'elle le désire, s'est rendue compte qu'elle avait bien mieux travaillé seule qu'avec son professeur de physique. J'ai approuvé et lui ai dit que je pouvais partir plus tôt : elle a compris que ses efforts pour trouver dans ses livres les réponses fixeraient bien plus durablement le savoir que l'écoute passive du professeur. J'aurais aimé que ses parents le lui expliquent, avant de l'habituer aux cours particuliers !
Je sais, en écrivant cela, je scie la branche sur laquelle je suis assise...