S'informer en Chine... Information, vous avez dit information ?
Vous pouvez tout faire en Chine, pour peu que vous ayez de
l'argent : vous procurer de vrais sacs de grande marque, des
voitures, des femmes, des substances illicites. Mais une presse ou une
chaine télévisée qui ne soit pas sous la coupe du pouvoir... Il faudra
ruser avec les serveurs Internet, passer par le satellite ou faire venir la
presse par courrier personnel. Si vous le recevez...
C'est une des choses qui vient à manquer le plus rapidement ici : un
semblant d'informations quotidiennes en lien avec le monde, dans le
cadre d'une vision qui ne soit pas totalement sino-centrée. Et pourtant, je ne suis pas la dernière à critiquer chez nos médias
l'absence d'une indépendance réelle et souhaitable dans une démocratie. Malgré tout, malgré les collusions et les compromissions, nous
sommes au coeur d'un réseau de médias avec une marge de liberté, nous permettant de faire avec notre "beurre" en croisant la multiplicité des sources. Au point que cette multiplicité provoque parfois la répétition à l'envi de certaines
nouvelles et donne la nausée.
En Chine, comme pour beaucoup de chose d'ailleurs, la quantité est au rendez-vous : il est extrêmement étonnant de s'arrêter à un des kiosques ou étals de journaux que l'on trouve de loin en loin dans les villes. Des dizaines et des dizaines de publications. San rire. Des centaines même. Consistant en de superbes revues sur papier glacé, avec photos en Une photoshopées avec finesse, gros titres en anglais... Mode feminine surtout, fanzines à n'en plus finir, revues pour jeunes filles, revues sur les arts ménagers et les jardins, revues de mode masculine, revues pour enfants, revues financières, revues coquines... Dans un coin, enfin, deux ou trois journaux d'information : reconnaissables à leur impression et leur papier de mauvaise qualité, le "Quotidien du Peuple" (人民日报) notamment et un ou deux journaux locaux. Tous plus insipides les uns que les autres : allez simplement lire une fois les titres, rien que les titres, du "Quotidien du Peuple en ligne" (人民网), et vous aurez des frissons devant cette langue de bois surannée, absolument sino-centrée dégoulinant de mauvaise foi. Et encore, je suis gentille...
Côté télévision se bousculent nombre de chaînes spécialisées dans les jeux idiots, dans les explications boursières (très importante dans la culture chinoise, où le jeu et le pari tiennent une place prépondérante) ou le top du top, des séries pseudo-historiques sur
des histoires rabachées depuis des lustres, mandarins hargneux aux
longs ongles et moustaches, jeunes filles amoureuses ou se révélant être des maîtres d'arts martiaux... L'innovation scénaristique n'est pas au rendez-vous, loin de là. Si cela ne vous convient pas, vous avez sinon les chaînes copiant le mode d'information de CNN,
les pléthoriques CCTV dont les reportages que j'appellerais "comble-grille" tournent en boucle ; "comble-grille" tellement leur fadeur est inégalée (non, les
reportages animaliers de la Cinquième sont exceptionnels en comparaison !!!). Pour les étrangers non
sinophones, seul CCTV 9 permet de tenter se tenir au courant d'une
actualité passée au filtre du gouvernement. Et la, tu te marres bien. Le
néant absolu de l'information.
Quelques exemples. Pendant toute la durée de mon séjour (douze jours), l'information s'est uniquement occupée de trois éléments. Les
publicités tout d'abord : 60% du temps d'antenne, sans rire ; lentes,
vaporeuses, avec musique d'ambiance "à la chinoise", vantant les lieux
touristiques de Chine. La récurrence est de six fois par heure minimum des mêmes publicités. Deuxieme sujet, sans lequel 2008 ne serait pas
2008 en Chine, les JO de Pékin : avec un point d'honneur à vous donner
heure par heure le détail du trajet de la torche, des porteurs et de l'enthousiasme généré par le "relais de l'amour, de l'harmonie, de l'espoir, de la beauté et de la tendresse réunis". Et j'exagère à peine. Il s'agit alors de montrer à quel point toutes
les minorités sont gentiment mises a contribution, heureuses et fières de participer à ce relais, et comment le peuple
dans sa grande totalité participe à cette mascarade. Ce ne sont d'ailleurs plus
des sportifs qui portent la torche, mais surtout des "Braves". Ceux du
tremblement de terre : pompiers, infirmières, chirurgiens. Image d'un peuple
uni et vaillant malgré les malheurs subis et qui chante "One world, one dream"
d'une seule voix (la chanson des JO, sirupeuse comme pour tous les événements de ce genre). Ne nous sont évidemment pas épargnés les reportages afférant au sujet :
comment la cérémonie d'ouverture va être trop géniale, comment celle d'Athènes s'était passée (j'ai adoré le moment où le commentateur décrit Achille alors que l'image montre un centaure. Achille, un centaure. Pourquoi
pas...).
Enfin, troisieme sujet qui occupe l'antenne en long, en
large et en travers : le tremblement de terre du 12 mai dernier. Même la météo a une rubrique "météo du lieu du désastre". En
boucle sont diffusés les moments tragiques, les pères ou mères
terrassés par la douleur devant le corps de leur enfant, montrés sans vergogne avec une musique d'ambiance, mais ces parents trouvent toujours un ou deux mots de remerciement pour l'armée, le pays ou les sauveteurs
de tel ou tel endroit qui ont aidé. Le ton employé par les journalistes fait dans le pathos le plus outrancier. Drôle en revanche, une conférence de presse d'un haut responsable a été diffusée, où l'on voyait un journaliste américain poser une question sur la préservation de la culture de minorités résidant dans la zone sinistrée ; le haut personnage a répondu qu'il n'était pas habilité à répondre à ce genre de questions. Ce reportage n'a été diffusé qu'une seule fois dans son intégralité, héhéhé... Enfin, le plus beau dans tout cela, ce sont les bioreportages
calqués sur le modèle américain : comment X, pompier dans le
district de Y, a affronté ses peurs pour participer à l'effort
qui unit le pays comme un seul et même homme, et comment il a trouvé la force de regarder vers l'avenir.
C'est beau comme du Michael Landon. Non, c'est faux : j'aime Michael
Landon.
Bien évidemment, rien sur les questions apparues très rapidement sur la corruption à l'origine des malfaçons de construction des écoles, rien sur la colère des parents, rien sur le fait que cette colère est étouffée et que toute tentative de regroupement de parents mécontents est considérée comme illégale...
Depuis l'été dernier, le contrôle semble s'être accru
très fortement puisque je ne peux accéder à presque aucun blog étranger ou à mon espace "administration" de ce blog (qui me permet d'écrire), que les sites de certains journaux étrangers sont difficilement accessibles parfois
tout comme ma boîte mail. Pour trouver une connexion me permettant
d'accéder à ce blog, il faut finalement aller dans les hôtels pour étrangers : là, seuls les étranges consultent, ce qu'ils veulent ; ce qui n'est pas le cas dans les cafés Internet, auxquels les Chinois ont accès. Et ce n'est pas une question de
connexion : mes camarades de wang ba s'en donnent à coeur joie en terme de jeux et de téléchargement, et dès que je cherche une bêtise sur Google, la
page s'ouvre immédiatement... Pour tout vous dire, il a fallu que j'ai enfin accès au
Monde pour apprendre qu'il y avait eu des émeutes à Wengan (Guizhou) après le décès pour le moins suspect d'une adolescente. Tout comme les revoltes
paysannes dans nombres de régions chinoises depuis quelques années ne
sont connues qu'en Occident, par le biais de sites dissidents ou de
forums rapidement fermés par les autorités, où des Chinois mettent en
ligne ce qu'ils ont filmé pour que l'information circule avant qu'elle
ne soit censurée. Un Chinois ne peut donc s'informer réellement sur son
propre pays que par le bouche-à-oreille, le monde se réduisant donc au cercle de la famille, des amis et des connaissances (un stade d'information médiéval donc) ou par des médias hors-la-loi.
Enfin, le comble de l'information désinformative a été atteint à l'aéroport : la zone internationale (celle où vous attendez pour embraquer après avoir passé l'immigration) est le seul endroit en Chine (sauf Hongkong) où vous trouvez quelques journaux étrangers (britanniques, américains ou allemands). Et là, que vois-je sur le présentoir ? Ceci.
Je l'ai évidemment acheté. Une telle source est inestimable. C'est délicieux de raisonnements mesquins, spécieux, fallacieux et captieux à la fois (et oui, tout ça !), c'est une anthologie de la langue de bois des années de la Guerre Froide revue à la sauce anti-Dalaï Lama. La terminologie et les formules sont un véritable régal : déjà, rien que le titre "Informations sur l'incident du 14 mars au Tibet". Cela ne sonne-t-il pas comme le superbe euphémisme des "événements d'Alger" ? Et le mot "informations", qui nous rappelle les meilleures heures de la propagande d'Etat. Je vous ferai un petit commentaire plus précis dans quelques jours...
Dernière chose : dès mon arrivée, j'ai été alpaguée par des étudiants en journalisme qui attendaient les étrangers devant l'église Saint-Ignace le dimanche matin (moi, j'allais visiter, pas à la messe). Ils demandaient de répondre à une série de questions concernant la manière dont les "événements du Tibet" ont été relayés par les médias. Et je ne résiste pas à vous en faire part :
- dans un premier temps, les questions étaient abord très neutres. Avez-vous été au courant des événements survenus au Tibet ?
- progressivement, on entre dans la partie "par quels biais avez-vous été informés", et toutes les questions visent à vous faire comprendre ou à faire ressortir lors de l'analyse finale que vous, Occidentaux, avez été informés par des sources non chinoises mais occidentales. Donc sujettes à caution. On vous demande si vous parlez ou savez lire le chinois, comme si être informé par le pays lui-même est le biais le plus fiable... Ceci est une chose extrêmement difficile à faire comprendre : non, ce n'est pas nécessairement la presse du pays qui est la plus fiable sur quelque chose qui y est survenu.
- et la troisième partie vise à démontrer que les médias occidentaux sont partiaux : on vous demande maintenant ce que vous avez pensé du traitement de cette information par CNN et notamment par John Cafferty ; c'était tellement dirigé et lourd que s'en était à éclater de rire. Si ce n'était pas aussi triste et révoltant. Et le final fut grandiose : savez-vous que John Cafferty a présenté ses excuses à la Chine pour son traitement partial de l'information ? Non, pour ma part, je ne le savais pas. Et pour cause : après vérification, c'est la Chine qui a demandé des excuses à Cafferty. Qu'il n'a pas faites. Ces étudiants en journalisme, leur professeur ou toute organisation derrière, cherchaient donc à faire passer ce qui n'est qu'une demande de la RPC blessée dans son orgueil comme une chose advenue : on est dans la mythographie la plus complète.
Je vous laisse méditer là-dessus.