Augusten Burroughs, "Courir avec des ciseaux" ou remuer le couteau dans la plaie...
Sur les conseils d'une amie, je me suis lancée dans la lecture de ce roman qu'elle m'avait décrit comme "hilarant". ... Au final, je n'ai pas beaucoup ri, j'ai en revanche eu le coeur serré et la bouche pâteuse, comme au sortir d'un mauvais sommeil.
Atmosphère identique à celle qui plane sur La Conjuration des imbéciles, le lecteur se retrouve plongé dans les excentricités d'une middle class américaine plus low que high, dans ses fantasmes et ses perversions. Ce roman écrit ostensiblement à la première personne s'éloigne à chaque instant de l'autofiction, martelant la chronologie, struturant le récit en fonction des étapes ayant marqué la vie de l'auteur et prolongeant ce roman autobiographie dans un deuxième volume.
Le lecteur suit donc pas à pas Augusten, reflet littéraire de l'auteur Augusten Burroughs, des disputes parentales à l'abandon dans la famille déjantée mais morbide, malsaine mais fantasque du psy de sa mère, le Dr Finch. Au milieu de scènes de famille pour le moins étonnantes, Augusten s'accroche à son rêve de devenir artiste capillaire tout en se laissant progressivement bercer par les excentricités finalement prévisibles de la famille Finch. Il vit libéré des contraintes matérielles, de l'école, des bonnes manières et surtout, il s'éloigne de plus en plus des crises de folie récurrentes de sa mère. Mais il n'est pas anesthésié pour autant, il perçoit que ce monde bizarre dans lequel il évolue n'est pas "normal" : "à l'école, j'étais entouré de petits Américains normaux, des centaines
de gamins normaux qui fourmillaient dans les couloirs comme les cafards
dans la cuisine des Finch. Sauf que ces derniers ne m'embêtaient pas
autant" (p. 97). Ce sentiment d'altérité profondément ancré, constitutif de la mentalité adolescente, est lié chez Augusten à la folie maternelle qu'il craint d'avoir héritée. Un sentiment de révolte remonte parfois, il se voit changer et pas nécessairement comme il le souhaiterait : et son homosexualité jusque là sereinement assumée se transforme en relation manipulatrice et violente. La question de la prépondérance du milieu ou de l'hérédité : problématique zolienne s'il en est, de cette fêlure originelle que l'on craint tous en jour de porter en nous.
Roman bref, le style est vif et les moments d'introspection sont extrêmement bien menés au milieu de scènes fantasques, amusantes ou révoltantes. Si l'on hésite à se prendre d'affection pour cet adolescent, une certaine compassion a cependant sa place même si l'auteur ne laisse d'une unique possibilité : de pas s'apesantir sur le passé, aller de l'avant. Ce qui dérange, c'est le sentiment d'extrême danger que recèle la maléabilité des jeunes. L'auteur insiste en effet tout au long du roman sur sa capacité à s'adapter, à tout malheureusement, et à revoir à la baisse sa capacité d'indignation : "c'était dur d'imaginer le beau et chic Daniel dans la salle de télé des Finch, hilare, doigt pointé sur le chien de la maison, parce que le petit Poo se tortillait par terre, pantalon baissé, tandis que le chien lui léchait son pénis en érection. C'était dur d'imaginer Daniel assister à un telle scène, haussant les épaules et reportant son attention sur la télé. Parce qu'il avait fini par s'habituer à ça" (p. 95). Le jeune Augusten s'y est habitué, lui, et vit dans cet entre-deux fait d'indifférence et de révolte, dans un monde sordide qui rappelle aussi bien l'excellent Happiness de Todd Solondz ou le grinçant Gummo de Harmony Korine ; peut-être est-ce là qu'il a puisé son talent d'écrivain. Peut-être pas.
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